Cristina Climaco, Les mémoires de Jaime de Morais


Les mémoires de Jaime de Morais,

figure majeure de l’opposition à la dictature et à l’Estado Novo au Portugal,

dans le cadre de notre projet UPL « Les non-lus de la contestation dans la Péninsule Ibérique ».

 

Jaime de Morais, Apontamentos de uma vida, organização e notas de Cristina Clímaco et Heloisa Paulo, Bordeaux, Éditions Quatorze, 2020.

Jaime de Morais (1882-1973) est l’une des principales figures de l’opposition républicaine à la dictature militaire portugaise et à l’Estado Novo. Républicain dès sa jeunesse, passée à Porto, il est impliqué dans la révolution du 5 Octobre, qui instaure le regime républicain au Portugal en 1910. Médecin militaire, il entame alors une carrière dans l’administration coloniale, mais il n’est jamais loin de la politique active et lors de ses séjours en métropole, entre deux nominations, il prend part aux mouvements de défense de la république. Ainsi, il est l’un des organisateurs du soulèvement du 10 Janvier 1919 contre la Monarchie du Nord et prend part, peu après, à la restauration du regime républicain, avant de repartir pour une nouvelle mission dans les colonies. De retour à Lisbonne à la veille du 28 Mai 1926, il reste en marge des conspirations visant à ravir le pouvoir au Parti Républicain portugais. L’accaparement du mouvement anti-PRP par les monarchistes et le danger qu’ils font peser sur la République le poussent à l’action. Il reprend le rôle de chef conspirateur, qu’il endossera jusqu’à la fin des années 30. Pour contrecarrer la mainmise des monarchistes sur le nouveau régime, Jaime de Morais organise la réaction des forces républicaines et conçoit le plan de la Révolte de Février 1927. L’échec de cette révolte et l’exil qui s’en suit renforcent sa détermination de défenseur de la République. Jaime de Morais tente de préparer un nouveau mouvement, mais il est arrêté par la police et déporté à St.-Thomé, d’où il s’évade pour reprendre la conspiration à partir de l’exil français, puis espagnol. Les mémoires de Jaime de Morais s’arrêtent en 1928 et aux suites de la révolte do Castelo. Révolte qui, selon lui, marque la fin de la période de chef de la conspiration. Néanmoins, il reste au premier plan de la lutte armée contre la dictature portugaise jusqu’au début de la IIe Guerre mondiale. Il exercera une dernière fois ce rôle de stratège militaire, en 1937-1938, en concevant les plans de l’opération Lusitânia, ultime tentative de renversement du regime portugais de la décennie de 1930.

 C’est cette vie de conspirateur que Jaime de Morais retrace dans ses mémoires, décrivant avec minutie l’intérieur des mouvements auxquels il a participé et/ou organisé entre 1910 et 1928, faisant état d’une époque, des mesquineries des hommes politiques, des dilemmes auxquels se sont confrontés une génération de républicains portée par l’idéal de progrès et de modernité mais peu préparée à la gestion courante du pays. Génération qui s’est éloignée du républicanisme des origines, celui d’une République parlementaire, libérale et démocratique. Le combat de Jaime de Morais et de ses compagnons, n’a pas seulement pour but le retour à la République, mais également de régénérer le régime républicain en renouant avec le programme de 1878 et l’idéal républicain.

 Les mémoires de Jaime de Morais sont un important témoignage de son époque et de l’esprit qui animait la jeunesse universitaire, formée par la lecture des auteurs russes et dans le bouillonnement des nouvelles idéologies. Sans prétentions littéraires, la valeur du témoignage réside dans la sincérité avec laquelle l’auteur fait était du décalage entre le romantisme politique de sa génération et les attendus d’un pays au bord du précipice, entre les aspirations d’une génération et des responsabilités tombées sur leurs épaules. Rédigées entre la fin des années 40 et le début des années 60, à une période de consolidation de l’Estado Novo et d’effacement de la résistance républicaine dans la mémoire des oppositions, les mémoires de Jaime de Morais sont une plaidoirie en faveur de la République et de son oeuvre, certes imparfaite et tatillonne, sévèrement jugée par les générations suivantes à la lumière non pas de critères contemporains des acteurs mais d’exigences d’une époque postérieure. Resté inédit, le témoignage de Jaime de Morais récupère la mémoire de l’opposition républicaine et lui restitue une place de choix dans le panthéon de la résistance portugaise.

 

 

 

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